21.03.2017
Au-delà de la présidentielle française, quatre blocs et la débâcle pour tous en perspective ?
Auteur / autrice: Gérard Dussouy
Quel que soit l’élu du mois de Mai prochain, quelles que soient les forces sociales ou les officines idéologiques victorieuses, l’élection présidentielle a montré un mauvais visage et a pris une mauvaise tournure quant aux échéances qui attendent le France. Les personnalités des candidats ou leurs analyses politiques laissent augurer d’un avenir bien incertain et peu enchanteur. Cela d’autant plus qu’il est prévisible que le nouveau président sera un président faible, parce que se trouvant sans une majorité partisane solide à l’Assemblée Nationale. Ou sans majorité du tout, sauf celle issue d’une alliance grosse de frustrations et de ressentiments. Partant de là, il sera incapable d’affronter les problèmes qui sont déjà bien répertoriés, et tous ceux qu’il va se créer lui-même, quel qu’il ou qu’elle soit, à cause de sa mauvaise appréciation de la réalité.
Le passage par les primaires, dans chacun des deux camps dominants jusque là, destiné à satisfaire à une personnalisation outrancière du pouvoir, et les coups bas personnels distribués depuis dans les medias dans le seul but de discréditer l’un ou l’autre des candidats, soulignent les limites d’une élection présidentielle fondée sur le mythe de l’homme providentiel (créées pour le général que l’on sait et dans les circonstances historiques que l’on connaît). C’est à se demander d’ailleurs, comment peut-on concevoir encore aujourd’hui, en ces temps de grande complexité, et dans une démocratie moderne, que toute une nation puisse s’en remettre à une personne, à un quasi-monarque élu, dont elle ne sait presque rien et qui n’a jamais rien prouvé en termes de réflexion et/ou d’actions politiques ? Et n’est pas roi-philosophe qui veut !
Au lendemain de l’élection présidentielle, c’est-à-dire à l’occasion des élections législatives, on va découvrir également que le scrutin majoritaire uninominal à deux tours, caractéristique de la V° République et facteur de sa stabilité politique, perd, malgré lui, beaucoup de son efficacité dans un système dont la bipolarité, qu’il a installée, est maintenant largement érodée. Certes, le clivage entre la gauche et la droite existe toujours, mais le schéma alternatif auquel on s’est habitué risque fort de souffrir de la division de chacun des deux blocs qui se faisaient traditionnellement face.
En effet, on se trouve aujourd’hui dans une situation qui rappelle assez celle des débuts de la III° République avec en compétition, pour ne retenir que les courants les plus conséquents, quatre forces politiques difficiles à concilier entre elles. D’un côté, une gauche radicale ( à deux têtes qui plus est), fidèle à une représentation du monde du temps ancien de l’opulence où l’on ne parlait que de redistribution, et une gauche opportuniste (pour respecter l’analogie historique, mais bien nommée compte tenu des ralliements qui la construisent) qui entend se maintenir au pouvoir et perpétuer ainsi le statu quo d’une société mondialisée et inégalitaire qui satisfait pleinement à ses intérêts. De l’autre côté, une droite libérale, et une droite extrême (ou inversement, si l’on préfère). La première partage avec la gauche opportuniste la même vision d’un monde unifié par le marché, mais elle s’en distingue par son jugement sur l’évolution des mœurs et de la société, et (c’est une affaire de génération !) elle est bien plus préoccupée par le fait sécuritaire pris dans le sens le plus large. La seconde, xénophobe et étatiste, récupère tous les mécontentements, toutes les frustrations et toutes les nostalgies. Ce qui lui vaut des succès électoraux indéniables, qui lui laissent croire à une chance de victoire, mais qui ne lui confèrent pas pour autant la compétence nécessaire pour gouverner. Elle reprend à son compte, de la sorte, la fonction tribunitienne de l’ancien parti communiste. Ce qui, on peut le croire, épargne au système politique en place des jacqueries qui pourraient, sinon, l’emporter. Jusqu’à maintenant, et cela sera sans doute démontré une fois encore au printemps prochain, le résultat le plus tangible de l’existence de la droite populiste est le maintien de la gauche au pouvoir dans une France largement droitière ! (1)
Ce champ politique à quatre blocs aux potentiels sensiblement égaux ne sera pas facile à maîtriser. Sa mise en synergie, afin d’affronter dans les meilleures conditions possibles les problèmes cruciaux qui sont là, semble impossible. Et, compte tenu des difficultés juridico-médiatiques du leader de la droite libérale, dont la victoire reste néanmoins possible à partir du moment où la pertinence et la cohérence de son programme sera admise, au détriment des autres, on voit mal, si le succès lui sourit, se reproduire le scénario du parti dominant, voir écrasant, comme on l’a connu à plusieurs reprises sous la V° République. Quant au candidat du parti des Opportunistes, dont il est dit dans tous les medias qu’il a maintenant, sauf accident majeur, toutes les chances d’être le prochain président de la République, rien n’indique, à ce jour, qu’il puisse disposer d’une majorité de gouvernement confortable et durable au Parlement.
Toute cette incertitude vient de ce que l’on distingue mal ce que les élections législatives donneront comme résultats, étant donné que l’on devrait connaître une multitude de triangulaires, voir de quadrangulaires. Quels seront les accords et les marchandages ? Certains évoquent déjà la possibilité d’une nouvelle cohabitation, mais ils oublient qu’elle a toujours fonctionné dans un cadre bipartisan. Or, celui-ci apparaît bien difficile à reconstruire quand on sait qu’à gauche le clivage entre celle qui veut gouverner et celle qui veut changer la société a été déclaré insurmontable, et quand on observe qu’à droite une alliance des modérés et des plus extrêmes est impossible, au moins tant que ces derniers n’auront pas abandonné leur obsession anti-européenne et qu’ils n’auront pas renoncé à leur programme économique démagogique. La dernière option, idéologiquement la plus concevable, reste celle d’une alliance des Opportunistes et des Libéraux ? Mais ces derniers y ont-ils intérêt, et ne vaudrait-il pas mieux qu’ils attendent l’échec, et peut-être le découragement, du nouveau président, tellement inattendu.
Le prochain quinquennat s’annonce donc instable. En renouant avec les coups de théâtre et les jeux de coulisse de la III° République il fera sans doute les délices des journalistes. Mais, sauf un retournement toujours possible de la situation, il est peu probable qu’il puisse procurer le cadre politique nécessaire au redressement, et à la sortie de crise. Ce qui laisse augurer d’une belle débâcle…
Gérard Dussouy
(1) Petite note sur l’impasse populiste.
L’échec des populistes néerlandais montre qu’ils n’ont pas retenu la leçon autrichienne (en Autiche le candidat du FPÖ a frôlé la victoire, grâce à sa conversion à l’Europe). Et il en sera de même en Mai et Juin prochains pour les populistes français, avec la double défaite annoncée, celle de Marine Le Pen à la présidentielle, et celle du Front National aux élections législatives, incapable qu’il est de nouer les alliances que celles-ci exigent au second tour. Dans les deux cas, c’est le rejet de l’Europe qui est la cause de l’impasse populiste, c’est-à-dire l’impossible accès au pouvoir suprême.
En effet, partout en Europe, les opinions publiques bien qu’elles soient déçues, ou pire encore, par l’Union européenne, bien qu’elles puissent être en désaccord avec son orientation économique et commerciale ultra-libérale, avec sa politique d’immigration intense, sont, dans leurs majorités respectives, conscientes que la solidarité des peuples européens ne peut être mise ne cause ; que la division et la fragmentation seraient la pire des solutions. Comme le souligne Enric Ravello, ici même, les Néerlandais savent très bien que leur pays est le débouché maritime de l’économie allemande, et qu’il serait absurde de rétablir une frontière entre lui-même et son grand voisin, ou avec la Belgique.
Les populistes gagneraient en crédibilité à s’affirmer européens, tout en réclamant un changement d’orientation radical de l’Union européenne. Ils devraient comprendre que tout ce qu’ils ne pourront jamais faire à l’échelle nationale, est réalisable à l’échelle continentale. Les nationalistes écossais leur montre aussi la voie. Pragmatistes, et par conséquent tout le contraire du dogmatisme souverainiste français, ils vont, une seconde fois, demander le retrait de l’Ecosse du Royaume-Uni afin qu’elle échappe à la catastrophe du Brexit, et qu’elle demeure en Europe où se joue son avenir.
G.D.